Les débuts de notre installation
Les débuts de notre installation #4

Un grand temps de silence comme une sieste vient, après un repas de rois, le dimanche, déposer sur la maison un morceau de feutrine. Rien ne bouge dans cette maison, le chat lui-même, artiste, parvient à ronronner sans aucun bruit ni ciller d’une moustache.

Et voilà que quelques mois ont passé et pas un mail ne fut envoyé pour dire comment vont les choses et la vie par ici. Après réflexion, j’ai trouvé la raison de ce silence : la digestion.

Pour bien comprendre, prenez d’abord un peu d’entrée. Des rillettes et du très bon pâté de la voisine, elles se marient très bien avec le vin du voisin. Les discussions vont bon train, chacun est à la joie de raconter, de se raconter, d’échanger, de dire un bon mot ou de rappeler un beau souvenir. On se ressert, voilà que passe une salade qu’on n’avait pas encore goûtée, il fait chaud, on rit beaucoup, on est bien. La vaisselle est fine et belle, évidemment. La nappe blanche et maintenant maculée donnera demain bien du souci à la maîtresse de maison qui, à l’instant, n’y pense absolument pas. Le rôti arrive, la sauce ne se fait pas attendre, les pommes-de-terre sont dorées, il est quinze heures mais c’est dimanche, ce repas est parfait, encore quelques verres et l’on croira qu’on l’a rêvé. Je passe le plateau de fromages, je laisse les choux à la crème et le sorbet au citron pour en venir à l’essentiel : la digestion ! Elle commence à la première bouchée mais sur un mode dynamique qui ne laisse rien présager de la torpeur de bonheur dans laquelle vous allez plonger. Vous vous êtes assis dans le fauteuil vert et confortable, un peu à l’écart des quelques convives restés qui boivent le café. Vous riez encore aux dernières exclamations mais bientôt vous ne pouvez plus rire, alors vous souriez. Voilà que sans prévenir, vos yeux se sont fermés, non, vous ne dormez pas, d’ailleurs vous pouvez encore bouger le pied. Il ne reste plus grand monde, les derniers combattants sortent pour goûter le soleil et faire quelques pas. Où vont-ils, vous ne le savez pas, vous dormez déjà.

Bon, c’est un peu long comme introduction. J’espère que vous ne me lisez pas juste après le déjeuner, sinon vous allez piquer du nez et faire l’expérience d’une digestion digne de ce nom.

Un long détour donc et un brin de pudeur, pour vous dire que nous nous sommes régalés pendant ces deux années et qu’une sieste nous a pris par surprise et nous a trouvés bien installés dans ce même fauteuil vert et confortable, si repus qu’il nous a bien fallu commencer à digérer. Les nouveautés, les surprises, les imprévus, les nouveautés encore, les impressions, les odeurs, les saisons, les visages, les prénoms, la nouvelle maison, les nouveautés toujours, les interrogations, les suspens, les décisions… nos cœurs et nos corps ont eu bien du travail pour que tout cela descende dans nos entrailles, il leur a fallu une petite sieste pour réaliser tout ce qu’ils avaient vécu sans se retourner.

Et voilà qu’au moment où la nature fait son numéro miraculeux de l’éternelle jeunesse et, timidement découvre ses premiers bourgeons, nous nous réveillons et… ouf… nous n’avons pas rêvé ! Nous n’avons pas chômé non plus ! C’est fou tout ce qu’on peut faire en se reposant !

Voilà dont un petit colis de nouvelles fraîches et en pagaille, livrées à domicile avec nos tendres pensées en papillottes, caramels mous au beurre salé et à la vanille.

Nous avions une maison à nous et deux maisons de vacances et …. Abracadabra … roulements de tambours, s’il vous plaît ! Benjamin le grand Magicien est en train de sortir de son chapeau, attention, c’est très gros… une troisième maison, magnifique ! Eh oui, Messieurs Dames, vous pouvez applaudir ! Transformer une grange en un gîte en un tour de main, c’est joli, c’est fort, c’est malin, c’est Benjamin le Magicien !!! A vrai dire, dans cette Grange qui a pris de nouvelles manières, il semble qu’il y ait plus qu’un gîte pour des vacances buissonnières… Ici, on murmure que se prépare une belle salle de bal (musette, évidemment), un lieu pour des rencontres, des repas, des conférences, des petits concerts… personne ne sait encore, mais le bruit court que dans cette pièce-là, se vivront des moments sympas… Chut…

La chapelle n’en finit plus de se terminer, elle s’apprête à être prête, c’est imminent évidemment… A Pâques peut-être, à l’Ascension plus sûrement, à l’Assomption sans hésitation ! Quoiqu’il en soit, soyez prévenus, la bénédiction sera une belle fête dont il vous faudra être, notez bien sur vos calepins que je dois, un de ces jours, vous donner la date…

Autre chantier pour un nouveau sentier sur lequel nous avons fait nos premiers pas, avec, à notre dos, un joli cartable et sur nos doigts de l’encre effaçable… Percer pour avoir une fenêtre ici, changer cette porte de bois pour du verre qui laissera passer la lumière, plâtrer, carreler, au mur fixer le tableau, installer les petits bureaux, inviter tous nos livres, ranger nos boîtes de crayons, nos rouleaux de papier crépon, écrire quelques règles sur les murs, accrocher une vieille carte, un beau planisphère, nous faire confiance, faire grandir la bienveillance, et « sur les tableaux d’un noir profond où voguent de grandes majuscules (1) », écrire à la craie et sans faute :

Nous expérimentons l’école à la maison.

Nous nous sommes retrouvés là presque sans le vouloir. Et nous avons trouvé sur ce chemin un trésor qui nous va bien ! Alors voilà que la maisonnée a un peu changé de tempo, c’est-à-dire qu’elle a trouvé le sien propre qui n’est pas celui du voisin. Nous ne partons plus en trombes à 9 heures 05 pour être à l’école à 9 heures sept kilomètres plus loin. Nous nous installons à nos petits bureaux et nous embarquons pour la matinée sur un joli voilier appelé Instruction. Au programme de ce voyage, de l’écriture, de la lecture, des conjugaisons, les tables de multiplication. Nous collons, nous découpons, nous colorions, nous gommons, nous recommençons, nous essayons, nous apprenons, nous découvrons. Avec ce nouveau complément circonstanciel de manière et de temps, nous voilà écoliers et maîtresse à domicile, loin du prédicat, de l’outil scripteur ou autre référentiel bondissant. Le mercredi, notre fourgonnette part toute guillerette faire le ramassage scolaire, on mange des spaghetti avec les amis et les enfants disparaissent jusqu’à l’heure du goûter. Pffiou, quelle récré !

Voilà nos si bons amis de Rocamadour qui débarquent pour trois jours. Dans leurs bagages, des bocaux Le Parfait, du gros sel et du poivre… Un bon dîner, la joie de se retrouver et hop-là, au dodo, car demain, il y a du boulot ! Ames sensibles, véganes ou pasteurisées, s’abstenir. Mangeurs de jambon rose vendu en tranches dans du plastique, prendre sa respiration et sauter ces paragraphes. Ou alors… par le trou de la serrure, regarder, car il y a de la place pour tout le monde et que nous nous méfions des cases et des labels, ils sont toujours en train de faire de grossiers portraits-robot et de mettre la vie en boîte.

Bref, vous connaissez notre goût pour les choses de la terre.

Nous avons organisé un Top Chef d’un genre un peu nouveau. Le bonheur est dans le pré, tout le monde le sait.

Notre cochon avait une certaine idée de l’élégance, il ne s’était pas fait tatoué. Il disait qu’il ne voulait pas être un numéro de série et que c’était une manière de résister à l’agro-industrie. Il était branché aromathérapie et n’a pas avalé un gramme d’antibiotique. Il avait, parait-il, en horreur les labos pharmaceutiques. Il n’avait certes pas un caractère de cochon mais il s’était forgé quelques convictions et il tenait bon. C’est en voyant les copains partir dans un camion Herta, par amour du goût et en découvrant la pub pour le jambon Le Tradition de Fleury-Michon qu’il a pris sa décision : il est mort à domicile pour nourrir deux familles voisines. Il n’a pas voulu être transporté, transformé, coloré, mouliné, moulé, conditionné et bâillonné par deux tranches d’un pain suspect pour finir en sandwich Daunat sur une aire d’autoroute lambda.

Bon, comme ça, j’ai l’air de faire la maline. Mais quand il a fallu aller chez le boucher pour acheter des boyaux, j’ai senti que je n’étais peut-être pas tout à fait prête, j’ai mis de grandes lunettes fumées et une perruque blonde sur la tête. Et quand Sylvie, notre Master Chef à nous, m’a demandé de goûter le boudin pas encore cuit, j’ai sans détour passé mon tour.

N’empêche. 139 kilos de viande, trois jours de travail, 70 bocaux de pâté, des kilomètres de saucisses, des rôtis, du boudin. Je ne sais pas si Picard libère la femme. Je sais que faire le cochon est bel et bien une fête et que je reprendrais bien un peu de pâté de tête. Nous avons passé trois jours avec les copains et avec nos voisins, c’était rudement bien !

[1] L’école, Maurice Carême

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