Les débuts de notre installation
Les débuts de notre installation #1

Chers Vous,

Il faut que je vous dise, depuis ce matin je me réjouis. Je me suis réjouie toute la journée en pensant au rendez-vous de ce soir, à ce moment que je vais passer avec vous. Car enfin, il est temps que je vous raconte comment les choses se passent ici, au Roc, à Saint Pompon.

Oh, rien de bien extraordinaire. Mais beaucoup de merveilleux.

Et depuis quinze jours que les collines voient passer notre camionnette grise, notre vie commence à faire sa petite place ici et lorsque la camionnette arrive dans les villages, têtes et casquettes se retournent, elles parlent de nous, un peu, elles commencent à nous reconnaître. Les voisins les plus proches entendent la forêt chanter, crier, rire et pleurer. Bêtement, Benjamin et moi imaginions que dans cette grande, grande maison, avec ce grand, grand jardin, les enfants ivres d’espace et de nature seraient plus… enfin moins… bref, feraient un peu moins de bruit. Force est de constater que non, loin s’en faut. Les arbres ne s’en plaignent pas encore mais certains rongeurs ont préféré s’éloigner en espérant que cela n’allait pas durer, ils se sont trompés.

Il y a eu cette première semaine, une semaine d’été à la fin du mois d’octobre pendant laquelle notre nouvelle maison nous a regardé déjeuner dehors et embrasser ceux qui, de notre famille ou de nos amis, furent nos premiers visiteurs. Elle nous a vu dire au revoir à Matthieu, fidèle des fidèles, qui conduisant le camion vide de notre déménagement, est reparti après sept jours de menus travaux, d’amitié et de repas en famille. Puis l’automne s’est réveillé et, une nuit, la pluie pleine d’audace est venue goutter sur ma table de chevet et donner à Benjamin une belle occasion de faire quelques cabrioles sur le toit le lendemain matin.

Le Roc, cette maison qui apprend à être notre maison, nous voit circuler, monter les meubles, défaire quelques cartons, elle nous entend parler de nos projets, de la journée de demain, des achats qu’il faudra faire et compte les outils que Benjamin rassemble pour, lentement mais sûrement, poser notre empreinte dans ses lieux. Et nous, qui apprenons à vivre ici, nous avons fini par arrêter de marcher téléphone en l’air et mine inspirée, nous nous sommes résignés, point d’onde de quelque sorte que ce soit, point d’Internet, point de réseau machin chouette, la couverture s’arrête net au-dessus de nos têtes. Quand nos téléphones s’affolent sitôt que nous prenons la route, quel délice de lire et d’écouter vos messages !

Les enfants sont partis à l’école et comme les vrais rêves ne sont jamais que roses, l’école nous a déçus et nous sommes rentrés tout chose. Mais voilà, en achetant six tranches de jambon à la boucherie de Saint Pompon, après quelques phrases de présentation et des brins de discussion, la bouchère glisse à mon oreille que c’est elle qui prépare la popote pour les 70 enfants de l’école du village, « avec que des produits locaux bien sûr », et hop, me voilà réconciliée avec l’école de la République. On n’est pas à un changement d’école près, dès mercredi, c’est à Saint Pompon qu’iront nos petits. Ils ont un peu râlé quand on leur a annoncé, on les comprend, mais en passant devant l’école, nous avons admiré la taille de la cour de récré et surtout vu qu’il y a trois chevaux de traits et deux poulains dans le pré juste à côté. Ouf, les voilà réconfortés.

Deux mots tout de même sur la boucherie de Saint Pompon. Je crois que quand je n’aurai pas le moral, j’irai m’acheter du jambon. Deux femmes délicieuses vous le tranchent avec cérémonie. Derrière les vitrines de présentation où s’ennuient les saucisses et les rillons, des frigidaires habillés de plastique faux bois abritent les carcasses. Et quand entre le boucher qui demande où est sa femme, la dame la plus jeune répond sur un ton égal « dans le frigidaire », ce qui est exact car la porte du frigidaire s’ouvre et la femme en sort effectivement, toute rafraîchie et bien affairée au milieu des jarrets. Ces deux dames m’ont accueillie avec une délicatesse et une gentillesse qui m’ont faire fondre comme un bon bœuf bourguignon. En ressortant, j’étais ravie d’habiter Saint Pompon.

Nous nous sentons bien. Chaque journée s’étire et se déroule avec tant de densité que c’est à peine si nous pouvons penser au lendemain. Nous vivons au présent, nous sommes contents. Les petites routes deviennent familières, nous trouvons maintenant rapidement les interrupteurs dans le noir et je ne réfléchis plus pendant trois heures pour savoir où j’ai rangé nos couverts. Certes nous n’avons toujours pas mis la main sur le carton de nos assiettes mais j’ai retrouvé hier mon fer à repasser qui s’était bien caché. Que vous dire d’autre ? Toute la famille s’est endormie, la bûche est consumée, je vais aller me coucher… ah si, aujourd’hui nous sommes allés acheter un four chez Darty (à Cahors, soit 45 minutes de voiture tout de même) et sur le chemin du retour, nous avons croisé deux fois deux chevreuils. J’en suis encore à les compter. Il y a fort à parier que je ne les compterai bientôt plus.

Vous ne nous manquez pas car vous êtes tous là.

Deo gratias !

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